Ce n’est jamais simple de
choisir, mais je crois que cette semaine, le choix s’est avéré particulièrement
difficile. Ne me basant pas sur les dates de sortie, mais sur les dates à
partir de laquelle je les écoute, il y a forcément des semaines où j’écoute plus
ou moins de musique, et des semaines où j’écoute plus de LPs que d'EPs. Du 18
au 24 juin, j’ai donc passé en revue plus d’une vingtaine d’EPs qui font
l’actualité, donc presque une dizaine valait d’être mentionnée : ceux de
Vatican Shadow, Sunil Sharpe, Kink, Bandshell, Locked Groove, Untold, Matthew
Dear, Four Tet, ou encore Dark Side…
et parmi ces neufs jolis vinyls, j’ai choisi de n’en garder qu’un pour
faire honneur à cette rubrique hebdomadaire en perdition. Il s’agit de
Change In a Dynamic Environment Part II,
celui d’
Untold donc. Deux tracks
seulement, pas vraiment les plus belles de tout ce que j’ai écouté cette
semaine, mais le plus d’originalité, et de volonté artistique peut-être. Loin
de toutes convetions, on est pris de spasmes,quand on écoute les tranchantes
notes de basses de l’artiste anglais. La techno gagne en profondeur et en
densité avec cet EP qui jouit des influences bass/house de son compositeur,
afin de mieux se perdre dans les méandres de ce qui rend la scène anglaise à la
fois si intéressante et si déplorable ces dernières années. Car oui, la scène
londonienne, et anglaise plus généralement, est gangrenée, comme je m’use à le
répéter, par ce flux incessant de productions bass/house, dénomination
fourre-tout que Resident Advisor avait déjà analysé il y a quelques mois de
cela
ici. Oui, les anglais, connus depuis la fin du XXème pour leur
prédisposition à vouloir bordéliser la norme des influences, et à savoir briser
les ‘cases’ que nous autres français, en bons héritiers de la multiplicité des
distinctions sociales, nous adorons ; ces anglais savent faire le ménage
et, de bric à broc, créer des styles à partir de pas grand-chose,
« genrewise » comme ils auraient à la bouche. En musique électronique, c’est la même
chose : 20 ans d’histoire nous l’auront démontré sans que l’on puisse
revenir dessus. Qu’il s’agisse du mouvement
Hardcore dans le sud londonien (jungle créée à partir d’un
break, drum & bass découlant du flow initial,
Speed Garage se
joignant aux festivités, entraînant la naissance du dubstep, etc.), de la techno de Birmingham ou de la house mancunienne, ils ne
se gênaient pas pour littéralement tout mixer, manipulations génétiques explosives
créant les hybridations que l’on connaît, métamorphoses et mutations musicales
permettant plus de 20 ans d’
« adventures in sound and music ».
Cette semaine, c’est
Untold qui s’y colle, avec une techno
aux penchants house, bass, presque juke sur les bords. C’est dire si le co-patron de
Hemlock Recordings veut se jouer de nous. En effet, si ‘Breathe’ nous paraît simple, c’est parce
que ‘Caslon’ nous laisse littéralement sans savoir sur quel pied danser. Une
incroyable vague bass, chicagoïsante, collante, indétachable du reste d’une
track qui avait tout de la techno de Birmingham, on sentait presque l’asphyxie arriver. Au lieu de tout cela, on écope d’un délire totalement
hallucinatoire, coincé entre ce rythme endiablé et de ce synthé si proche de
ceux de l’agréable ‘The Planet’ d’Ital Tek. Planet Mu fait donc la nique à Sandwell District pendant qu’on prend
notre pied en écoutant cet indescriptible mash-up qui semble appartenir à nos pires cauchemars, et qui sonne en fait assez bien. Il faut avoir le tympan bien
accroché, je l’avoue sans problème, et oser regarder en face les absurdités
acoustiques et autres dissonances qui polluent ce ‘Caslon’. Mais, nous autres
électroniciens musicaux, qui écoutons du noise, du glitch ou du drone criard,
sommes-nous en mesure de juger quand nos musiques préférées font parfois preuve
d’une « amusicalité » (au sens classique et donc ancien du
terme) défiant presque toute concurrence ? Ainsi il faut saluer le
courage artistique d’un Untold qui n’a pas hésité à commettre l’irréparable
afin d’ouvrir de nouvelles voies, et de se sacrifier afin de nous livrer une deep techno étrange, ni subtile ni jouissive, mais belle et bien en
dehors des cadres classiques. À
ceux qui n’auraient pas l’ouverture d’esprit de considérer cette option comme
valable, je les renvoie alors à ce ‘Breathe’, si justement tempéré, si finement
réalisé, là où la techno rencontre la douceur et la passion. Ce ‘Breathe’,
c’est de la techno version Smallville. Là encore, tout dans la structure
rythmique indique un morceau technoïde bien calibré, et les effets sur le
rythme appartiennent au registre techno aussi, mais là encore Jack Dunning ne se
laisse pas faire par les conventions, et ajoute une ligne de basse si tendre
qu’elle fond sous la dent. Les harmoniques de synthé de ci de là servent désormais à calmer l’atomsphère, et tout d’un coup, une
courte montée en intensité débouche sur un lead maximaliste qui semble exécuté
par une myriade d’astres célestes. C’est désormais scintillant, relaxant,
infinment plus gratifiant qu’une ballade techno comme on connaît tant d’autres,
et pourtant, la même base rythmique accompagne cette sorte de deep house
évoluée. On est vraiment charmé par ce soul train démoniaque, et cette
ambivalence si réussie. Voilà pour Change In A Dynamic Environment Part II.
Si vous n’étiez pas au courant, une suite et dernière partie de ce trio est prévue
pour septembre prochain, et quand on voit la qualité des deux premiers on ne
peut que s’attendre à une réussite. Le label à la cigüe prévoit donc de continuer l'élargissement de son impressionnante discographie (Ramadanman, James Blake, Cosmin TRG ou encore Pangaea sont déjà au catalogue). On est plus qu'impatients de découvrir tout ça. Alors rendez-vous à la rentrée.