Friday, June 8, 2012

Recondite - On Acid




Depuis la sortie de son premier Long Play On Acid, la presse n’a plus que le mot "underrated" à la bouche pour parler de l’heureux Recondite et de ses acolytes de chez Acid Test. Très liés, le Berlinois et son label font cependant leur possible pour cacher l'identité du prodige. Sans doute pour mettre en avant leurs expérimentations, et leur but final. En réalité, toute leur aventure n’est qu’une histoire – et d’Histoire il est essentiellement question – d’oscillateur, plus précisément de TB 303. Oui, oui, la Roland Transistor Bass 303,  séquenceur de basse de la fin des années 80 qui, en prenant une utilisation moins conventionnelle (celle voulue par les ingénieurs n'avait pas grand-chose à voir avec cellle qui domina le marché), fût à l’origine d’un pan historiquement important de la musique électronique (l’Acid House), et qui valut à Tadao Kikumoto, chef de la R&D chez Roland, la paternité reconnue par The Guardian d’un des 50 évènements les plus importants de l’histoire de la dance music. Voilà le résumé wikipédia pour ceux qui n’avaient vraiment rien suivi, la petite mise à niveau réglementaire pour ceux qui débarquent. Ce qu’il est aussi bon de savoir, c’est que depuis toujours, il existe une nostalgie de cette époque chérie par les fans de la première heure, une nostalgie tantôt ambiante, tantôt frénétique, nourrie par les souvenirs de vieux fêtards aujourd’hui disquaires en mal de vivre, et par d’incessants revivals plus ou moins réussis. L’Acid House, sorte de faux âge d’or, vestige idéalisé d’une époque ou la club music était composée de trois genres et quatre sous-genres qui se battaient en duel, comme le veut l’expression. Aujourd’hui, la diversité incroyable de l’univers de la musique électronique permet de s’accorder sur l’absurdité d’un retour en bonne et dûe forme de cette éphémère hystérie collective nord-américaine. Un état des lieux qu’Acid Test comprend, et met aujourd’hui à profit, et c’est là le point intéressant : tenter de réexploiter les possibilités d'un instrument injustement réduit à l’utilisation qu’en ont fait les générations passées, et non par ses capacités innées. Voilà l’aventure dans laquelle Acid Test s’est lancée, le challenge qu’ils se sont donnés, et qu'ils ont relevé haut la main.


Ainsi, après de sublimes EPs d’Achterbahn d’Amour, aka Iron Curtis mit Edit Piafra (foncez sur les Acid Test 02 et 05, ainsi que sur les remixes des deux protagonistes, des délices pour la majorité), ainsi que Donato Dozzy (la simple mention de Voices From The Lake devrait suffire), Holger Zilske et Tin Man (à écouter d’urgence si ce n’est pas déjà fait, un vrai « acid survivor »), le sous-label d’AbsurdRecordings sort son premier long format, l’œuvre du diabolique Recondite. Diabolique parce que redoutablement efficace. Pas une seule seconde je ne me suis ennuyé à l’écoute de cet album, et c’est un assez bel exploit, me connaissant. Du début à la fin, j’étais On Acid. La prise de substances illicites n’est en effet pas recommandée pour l’écoute d’un pareil album, pour cause de risque d’overdose ; l’effet est tellement similaire à celui d’une drogue (non nocive j’entends) qu’ajouter à ce trip sensoriellement très gratifiant serait risquer de passer du mauvais côté de la barrière. À ce petit jeu là, Recondite nous délivre juste ce qu’il nous faut d’endorphines, dopamines et autres hormones expiatoires  et cathartiques ; moins d’une heure passée avec l’allemand nous emmène jusqu’à un extatique soulagement, un retour à la réalité apprécié bien qu'il nous tarde de revenir dans ce « higher state of consciousness ». Le plus étourdissant avec cet album,  c’est que la même formule y est appliquée d’un bout à l’autre. À l‘exception des remixes de Tin Man et Scuba (réussis eux aussi), il ne s’agit que d’un kick profond de 303, d’aigües acidulées tout en legato, couplées à des basses en contretemps très deep, et des jeux d’échos, de filtres, enfin de rares effets de chorus dotés de la subtilité d’un ours en rute. Tout ça pour dire que techniquement parlant, il n’en a pas fallu beaucoup à Recondite pour créer son composé chimique psychotprope. Mais là où certains crient à la pauvreté, j’y vois l’ingéniosité, celle d’avoir su nous tenir en haleine avec simplement une TB 303, une pauvre 303 dont on pensait connaître tous les vices et toutes les qualités, qui nous semblait plus familière que le revers de notre main.


Un bel effort, et avec le recul, on se rend en même temps compte qu’il s’agit sûrement plus d’un EP déguisé en LP avec la gracieuse aide de ses acolytes anglais et californiens. À mettre donc en perspective, quand on regarde la courte mais déjà belle histoire du label, la carrière aussi relativement petite de Recondite, et les possibilités que ce premier opus laissent envisager. La mélancolie et la poésie des vingt premières minutes (‘Petrichor’, ‘Tie In’ et ‘Felicity’) jouent largement en la faveur d’un producteur qui nous montre différentes facettes de son personnage, ainsi que différents talents ; on est pas désarmé par le vide volontaire de la production, au contraire, tout nous rappelle les meilleures heures de la deep et de la minimale, quand elles n’étaient pas surfaites, quand elles accompagnaient les folles soirées de la première moitié des années 2000, celles qui ne jouaient aucun jeu, ne suscitaient pas encore la surcommercialisation actuelle… Si cet album est nostalgique d’une époque, ce n’est certainement pas de la fin des années 80, c’est certainement plus de ces 10 dernières années passées à s’enticher de ces courants minimalistes et de tous leurs avatars. Et malgré l’hypnose, c’est avec saveur, délicatesse et caractère que l’allemand s’efforce de le faire ; ainsi nous lui rendons la pareille. C’est avec admiration et humilité que je dis : qui que tu sois, merci Recondite.

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