Pas de
discussion possible, ce soir vous allez fêter la musique. Dans la rue, acculé
entre les reprises des Doors ou de Bob Marley qui conjuguent mauvais goût et
faiblesse d’interprétation, vous allez sortir dehors et vous contenter de
l’orage (qui ne lâchera décidément pas la région parisienne avant le mois de
juillet), abuser des enceintes indécentes qui vrilleront vos tympans jusqu'à la moelle, enfin boire jusqu’à plus soif, histoire d’oublier
l’ambiance morose qui règne à deux jours de notre expulsion de l’Euro, et à
quelques mois de la fin de l’€uro. Parmi les seules bonnes nouvelles,
l’actualité musicale qui s’achète une vie avec l’arrivée très prochaine de
l’été (non, je n’appellerai pas encore ce temps de merde « été », que cela
vous plaise ou non), histoire de pourrir nos iPods de merdes commerciales. Et
d’autres choses éventuellement. Le point sur les quelques sorties pré-estivales
qui nous mettent du baume au cœur.
Si j’ai fini ma dernière
sélection sur The Only Way Out par
un paragraphe sur les rééditions, repress et autres rereleases d’œuvres déjà
sorties il y a bien longtemps, je tiens à commencer celle-ci par le même cas de
figure. Rendre hommage aux classiques méconnus, aux œuvres ou au artistes
oubliés, c’est glorifier l’intemporalité de la musique, un concept qui a
souvent eu du mal à s’imposer avec cette musique électronique si récente, dont
les génies sont encore vivants, dont les grandes réussites et les grands actes
se sont majoritairement déroulés il y a moins de 30 ans. Une musique née dans une époque de multiplicité
et de diversité presque étouffante, où les genres naissent et meurent les uns
après les autres, en faisant la victime de la mode et des états d’âme d’un
public toujours plus volatile. Une musique déshumanisée et souvent par là-même
déconnectée de tout rapport au temps dans l’esprit collectif. Une musique née
avec les dernières grandes évolutions technologique du siècle, et qui n’a donc
que très peu évolué dans sa manière d’être créée depuis l’entrée dans le
nouveau millénaire / On ne compte plus les arguments qui ont été soulevés pour
justifier la non-existence d’une musique électronique intemporelle, de
classiques de l’électronique au même titre que Dark Side Of The Moon ou le White
Album. Ainsi, voir que les labels permettent, je dirais même estiment
nécessaires la publication d’œuvres décédées dans l’esprit collectif, c’est le
soulagement de voir un hommage rendu au combat des années 80 et 90 pour porter la
musique électronique au niveau des autres musiques dans l’imaginaire de tous
les publics. Hommage poursuivi par les dizaines d’imprints qui s’occupent de
dénicher les perles rares qui méritent d’être sorties de l’anonymat, même s’ils
créent le débat entre défenseurs de cette pratique surconsommatrice de musique
et les autres, les nostalgiques, des hommages qui remettent en question la
valeur de la musique (comme le montre les éternelles discussions entre les
passionnés PC et Chris de chez Mnmlssgs).
En ce qui me concerne je ne vais pas me priver de savourer les innombrables
rééditions, redécouvretes et autres trésors enfouis dans la masse déjà
importante de musique d’alors.
Alors écoutons les Lost Tapes
de Can, et ne jurons de rien, si ce
n’est de la grandeur de ces morceaux désormais incontournables par la grâce de
Boomkat et consorts.
Cette fois-ci, la recette est légèrement différente, puisque tout le monde connaît René Pawlowitz, alias Shed, alias Wax ; peu de gens en revanche connaissent ses productions sous ses alias Head High et WK7. Des tueries de 2010, un temps où M. Pawlowitz ne se dédiait pas simplement à une techno expérimentale et abstraite comme on le croit souvent en raison de The Traveller, mais du temps où il sortait des tueries house à en retourner tous les clubs d’Europe. Des raretés aujourd’hui offertes à nouveau par la grâce de Hardwax et Power House, le label qui les avait sortis originellement. Ainsi ce sont, en plus de le nouvel EP sur lequel paraissent deux inédits du Pawlowitz de l’époque (Do It Yourself / Rave), les EPs It’s a Love Thing de Head High et The Avalanche de WK7 viennent de revoir le jour. Un petit bonheur pour les quelques chanceux qui se sont donnés le mot et précipités sur les pépites en question. Pour preuve, quand on écoute le passage hallucinant du Fabriclive 59 de Four Tet où ‘Higher Power’ se met à emplir nos oreilles… On est bluffé. Merci R'né.
Puisqu'on parle de Four Tet, un petit détour par les dernières productions de l'aimable Kieran Hebden devrait-être sans risque, n'est-ce pas ? En effet ce dernier vient de lâcher un nouvel EP intitulé Jupiterschez son propre Text Records. Si le morceau éponyme laisse de marbre, 'Ocoras', entêtant, rappelle dans sa recette l'addiction instantanément provoquée par 'Love Cry', 'Pinnacles' ou encore ses remixes de Nathan Fake et Pantha du Prince, avec leur kick enjoué et leurs boucles imparables. Une bonne dose de fun aliée à une composition vraiment inégalable, la plastic house du londonien semble vraiment trop facile, mais est tout simplement trop efficace. Afin de savourer encore plus, j'ajoute à cela la preview du très prochain 128 harps, qui à défaut d'être catchy, est plus touchant que la plupart des bouses UK House qui se reproduisent comme des lapins chez la Perfide Albion...
On continue notre tour des
sorties récentes avec la parution de ce ténébreux LP des allemands Owwl. Un drone immersif, mesuré, BO
magnifique de votre ensevelissement sous-terre, bande son du funeste destin qui
attend chacun des hommes, un peu plus de noirceur et de tragique à chaque
seconde, sur ces mêmes notes qui durent la longueur d’un morceau, bref, c’est
juste parfait. Il faut dire que chez Utech Records, on ne déconne pas : leur catalogue impressionant de styles
allant de l’ambient au field recording semble être un des plus hauts gage de
qualité. En autoproduisant leur premier mini-album deux ans auparavant, il
semblerait que les randonneurs du Harz de Saxe-Anhalt aient porté sur eux
suffisamment d’attention pour être demandés par cette écurie de renom. Dark Places est donc paru en février
dernier, et il a fallu attendre ce mois-ci pour que je me procure cette
douceur algique. Dark Places, ce sont surtout
des harmoniques déchirantes, une atomsphère pesante, des fréquences presque aussi
palpables que la tension qu’elles créent, vous comprendrez que le tout soit
donc assez charmant. On est presque ravi de devoir faire sans beat, d’être
forcé à concentrer tous nos sens sur ces sons qui, eux, en sont vides, de
prolonger cette écoute si implacablement lente et épuisante. Psychologiquement
affaiblis, physiquement éprouvés, on ressort lessivés d’une écoute qui semblait
à la fois succincte et interminable. Un drone efficace, pour résumer.
P. S. : n’hésitez pas à entrer les coordonnées que sont les titres des morceaux dans google maps. Ça vaut le détour virtuel.
P. S. : n’hésitez pas à entrer les coordonnées que sont les titres des morceaux dans google maps. Ça vaut le détour virtuel.
Vient enfin la techno. La
récente, la toute fraîche, celle qu’on attend en permanence, qui adoucit les
tempéraments tout en faisant mal au crâne. Et le mois dernier, ça s’est battu
férocement pour avoir le dernier mot. Entre les albums de Darling Farah, Mike Denhert,
ou encore Delta Funktionen, ça se bousculait au portillon. Mais puisque que
chacun d’entre eux m’a (plus ou moins, évidemment) régalé, je propose de faire
honneur à toutes ces beautés. Rien de tel pour attaquer que la splendide
introduction de l’album de Darling Farah, Body - sur lequel je reviendrais bientôt.
En effet, ‘North’ n’est pas de la techno pure, mais un beau chromatisme dub,
presque ambient, si ce n’est pour ce beat lent, fluide et profond qui vient
rythmer l’essaim épars et discontinu de graves nappes de synthé. Une
atmosphère, rien de plus, rien de trop, entrée en matière équivalant à l’entrée
dans un univers, un lieu sombre mais pas angoissant, un face à face avec
l’inconnu qui nous enthousiasme au lieu de nous effrayer.
Ajoutons-y le ‘Fachwerk 25’ de Mike Denhert, track dub techno
classique issue de l’album éponyme. À l’instar de la totalité du LP, tout y
est : les notes de synthé tubulaires à l’écho magique, la voix masculine trop
lointaine pour être compréhensible, mais juste assez présente pour être
audible, la basse minimaliste, étalée sur pas moins de trois notes, le jeu des
cymbales, charleys et autres high hats qui reviennent ça et là, agrémentant
l’ensemble d’une progression lente mais sulfureuse. Rien de révolutionnaire,
c’est même tellement classique qu’on pourrait croire à une farce de la part de
l’ingénieux berlinois. Mais le reste de l’album, splendide dans son ensemble,
plus varié et satisfaisant qu’il ne semble à la première écoute, mérite un bien
une mention.
Delta Funktionen fait beaucoup parler de lui en ce moment, et son
premier LP Traces n’y est pas
étranger… Je dois vous avouer qu’en premier lieu, je le trouvais relativement
quelconque. Mais cela ne fait pas une semaine que j’ai ce petit bébé que je le
chéris désormais comme s’il était mien. Eh oui, en peu de temps, Delta Funktionen, qui avait l’habitude
de se cantonner à une dub techno plus formatée, plus intimiste et
« dark » somme toute (souvenez-vous Inward Content), a décidé de s’aventurer sur des terres plus
sauvages, et cela lui réussit plutôt. Rien d’exceptionnel, mais un album loin
d’être ennuyeux, avec ses accélérations, ses phases d’introspection et ses peak
times subtilement amenés par les innombrables machines utilisées pour la
conception de Traces. On trouve même
quelques côtés pop-disco à la panoplie d’instruments déployée pour certains
morceaux, comme chez 'On A Distant Journey', qui n’a plus rien de franchement
technoïde, et qui flirte ostensiblement avec une électropop un brin rigolote. Niels Luinenberg n'hésite cependant pas à revenir sur les origines de la techno, avec ce 'Target' ou ce très acid 'Redemption', sortes d'adaption actuelles de styles de techno désuets. L’exotisme du tout peut paraître cliché, je n’hésiterai pas à dire qu’il me
satisfait pleinement, personnellement. Une agréable surprise que ce Traces,
qui, faute d’être la bombe techno qu’on attendait un peu tous, reste une
franche tranche de plaisir auditif.
Dans un style similaire, on a Ukkonen, qui, non content de nous avoir
allumés avec son EP Spatia d’il y a quelques mois, ou son Erriapo de l’an
passé, nous lâche son premier album. Rien que ça. Encore une fois, l’artiste
préfère concentrer beaucoup de bonnes choses en une track que d’éparpiller son
savoir et son talent dans une indigeste multitude de morceaux. Ainsi The
Isolated Rythms Of… ne contient que 5 pistes, et c’est largement assez pour
nous éblouir, en notant que trois d'entre elles font 16 minutes. Remarquez, un peu plus de la même came ne pourrait pas faire de
mal… Une version plus pop, plus easy-listening que son abstract techno qui avait
du mal à rester en tête, et qui se contentait de galamment nous émouvoir et
nous transporter. Cette fois-ci, la même formation instrumentale ou presque
nous sert une électro plus riche
(‘Tellervo’), plus énergique, moins mélancolique et déprimée, apte à satisfaire
presque tous les publics (peut-être que la durée et l'étalement des morceaux resteront une contrainte aux publics les moins en phase avec ce genre de musique, mais ce n'est pas à eux que l'on s'adresse, donc bon). Des voyages comme ceux de 'Theme from the 4223' sont tout simplement ahurissants, et quand on écoute 'Humans, knew in the forest', on est réellement abasourdi de la qualité technique des productions affichée par le scandinave... Entre Plant43,
Ryan Davis, et son compatriote Trevor Deep Jr, Ukkonen y va
de sa petite sauce finlandaise, avec plus d’originalité que l'ensemble de ses compères. Un album agréable, divertissant, j'irais jusqu'à dire ravissant.
James Zeiter, c'est l'inconnu qui m’a fait rêver. Jai-Zed, MCMLXV, Spacer IV, vous avez beau faire le tour des alias, pas un ne vous dit la moindre chose. Rares sont ceux qui osent prétendre se souvenir de ce quidam qui a produit une petite dizaine d’EPs, pourtant tous plus mémorables les uns que les autres. Un artiste resté dans l’ombre malgré les tracks folles qu’il a produites. Peut-être est-ce le côté légèrement trancey qui en a repoussé plus d’un. Pourtant, au petit jeu de la techno maximaliste et évasive, AlexanderKowalski, par exemple, a su tirer son épingle du jeu avec une tech-trance moins fine que celle-ci. Une récompense bien ingrate pour un mec qui produit depuis depuis 1997. 15 ans et une quinzaine d’EPs plus tard, ses morceaux semblent toujours aussi puissants et profonds, ont à peine pris de l’âge, sans se bonifier, ni se honnir. Cette race de techno spectralement large, grandiloquente, avec des filtres et des équas à n’en plus pouvoir, un beat simpliste l’extrême, un air dub techno à peine caché, bref du grand spectacle sonore, Rio Bravo vs African Queen version acoustique. Ça en jette, c’est techniquement irréprochable, et ça n’a décidément pas pris une ride. Une fois de plus, on remercie Monsieur Zeiter d'avoir compilé toutes ses bonnes oeuvres dans un JSCD-01 sincèrement marquant.
James Zeiter, c'est l'inconnu qui m’a fait rêver. Jai-Zed, MCMLXV, Spacer IV, vous avez beau faire le tour des alias, pas un ne vous dit la moindre chose. Rares sont ceux qui osent prétendre se souvenir de ce quidam qui a produit une petite dizaine d’EPs, pourtant tous plus mémorables les uns que les autres. Un artiste resté dans l’ombre malgré les tracks folles qu’il a produites. Peut-être est-ce le côté légèrement trancey qui en a repoussé plus d’un. Pourtant, au petit jeu de la techno maximaliste et évasive, AlexanderKowalski, par exemple, a su tirer son épingle du jeu avec une tech-trance moins fine que celle-ci. Une récompense bien ingrate pour un mec qui produit depuis depuis 1997. 15 ans et une quinzaine d’EPs plus tard, ses morceaux semblent toujours aussi puissants et profonds, ont à peine pris de l’âge, sans se bonifier, ni se honnir. Cette race de techno spectralement large, grandiloquente, avec des filtres et des équas à n’en plus pouvoir, un beat simpliste l’extrême, un air dub techno à peine caché, bref du grand spectacle sonore, Rio Bravo vs African Queen version acoustique. Ça en jette, c’est techniquement irréprochable, et ça n’a décidément pas pris une ride. Une fois de plus, on remercie Monsieur Zeiter d'avoir compilé toutes ses bonnes oeuvres dans un JSCD-01 sincèrement marquant.
L’histoire de Moritz Von Oswald
n’a jamais fini de s’écrire semblerait-il : les légendes du trio de MVO sont de retour. Sasu et Max rempilent pour fournir à Moritz une énième
occasion de briller, loin au-dessus de tous les acteurs du milieu. Peu
d’artistes électroniciens peuvent comparer leur œuvre à celle du maître, mais parmi
eux se trouvent ses acolytes Vladislav Delay et Max Loderbauer, c’est
bien notre chance. Les trois larrons viennent de sortir leur dernier album, Fetch, chez l’élitsiste Honest Jon’s. Comme on pouvait s’y
attendre, Fetch est une étoile rayonnant
au centre de l’univers de la musique électronique, dans une constellation
contenant le Pinch & Shackleton,
ou le dernier Carter Tutti Void, faite
pour guider l’ensemble des systèmes qui gravitent autour. Brillante, astrale, la
musique du magistral trio est pourtant loin d’avoir à faire avec l’espace intersidéral.
Rapidement étouffante, elle nous plonge dans un air chaud, à la moiteur lourde et prégnante, dont on peine à se sortir. Cet enfer tribal, métamorphose
des glitchs en jungle humide, auquel on ne peut échapper, est en réalité un
délice psycho-acoustique. Un jeu de haute voltige sur la perception des sons,
tour de passe-passe où les machines remplacent, l’espace d’une petite heure, un safari
au carrefour de la forêt congolaise et des fleuves centrafricains. Pas de
mention spéciale pour un des quatre morceaux, puisque tous valent autant les
milliers d’écoutes réglemetaires, quelles que soient leurs durées respectives
(de 7 à 17 minutes). Bref, si vous n’aviez pas déjà prévu d’acheter cette merveille à cet honnête Jon, je vous recommande fortement de changer
d’avis et de suivre le mien. Et si vous êtes convaincu par ce choix (qui ne devrait
pas en être un), ruez vous sur Espoo,
la dernière décoction de l’ « infamous » Vladislav Delay.
Pour clore cette très belle
sélection pré-estivale, je propose de fnir sur la touche qui ramènera peut-être
le soleil : Salty Days. Ces
jours salés où l’air marin nous délivre de l’impitoyable cagnard méditerranéen,
tandis que nous tentons, dans des efforts d’un ridicule incomparable, de
profiter de l’un et de l’autre tant que faire se peut ; on met alors toute
la volonté du monde, toute notre concentration et tout notre physique en jeu
afin de pouvoir paresseusement nous prélasser au fond d’un transat. Voilà ce à
quoi Smallpeople nous invite :
lâcher prise sur notre vie l’espace de quelques jours pour les uns, de trois
voire quatre mois pour les autres, et se laisser imaginer que faire quelques
centimètres sur un bout de plage est une peine trop grande pour être assumée.
Avec un album beau comme l’été, le duo Hambourgeois nous fait cadeau d’une
soundtrack digne des plus indolentes vacances, des jours les plus longs, les
plus torrides et les plus fainéants. Avec le (gros) soupçon de classe qui
justifie le label Smallville sur la
cover, évidemment. Pour être plus précis, je dirais que tout en élégance et en
retenue, Julius Steinhoff et Just Von Ahlefeld fête la musique
à sa façon, avec des ambiances loungy sans être clichées, des nappes grasses sans être
dégoulinantes, des lignes de basse comme toute la microhouse en rêverait, pour
donner un son deep léché, intimiste, subtil. Avec le temps, cet album passe de
sympathique à fantastique, et on ne se lasse pas de la chaleur et de la tendresse qu’il dégage. Moi je vous le dit, on
aimerait fêter la musique de cette façon là plus souvent…
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