Thursday, June 21, 2012

Sélection #4 - Fête de la musique



Pas de discussion possible, ce soir vous allez fêter la musique. Dans la rue, acculé entre les reprises des Doors ou de Bob Marley qui conjuguent mauvais goût et faiblesse d’interprétation, vous allez sortir dehors et vous contenter de l’orage (qui ne lâchera décidément pas la région parisienne avant le mois de juillet), abuser des enceintes indécentes qui vrilleront vos tympans jusqu'à la moelle,  enfin boire jusqu’à plus soif, histoire d’oublier l’ambiance morose qui règne à deux jours de notre expulsion de l’Euro, et à quelques mois de la fin de l’€uro. Parmi les seules bonnes nouvelles, l’actualité musicale qui s’achète une vie avec l’arrivée très prochaine de l’été (non, je n’appellerai pas encore ce temps de merde « été », que cela vous plaise ou non), histoire de pourrir nos iPods de merdes commerciales. Et d’autres choses éventuellement. Le point sur les quelques sorties pré-estivales qui nous mettent du baume au cœur.



Si j’ai fini ma dernière sélection sur The Only Way Out par un paragraphe sur les rééditions, repress et autres rereleases d’œuvres déjà sorties il y a bien longtemps, je tiens à commencer celle-ci par le même cas de figure. Rendre hommage aux classiques méconnus, aux œuvres ou au artistes oubliés, c’est glorifier l’intemporalité de la musique, un concept qui a souvent eu du mal à s’imposer avec cette musique électronique si récente, dont les génies sont encore vivants, dont les grandes réussites et les grands actes se sont majoritairement déroulés il y a moins de 30 ans. Une musique née dans une époque de multiplicité et de diversité presque étouffante, où les genres naissent et meurent les uns après les autres, en faisant la victime de la mode et des états d’âme d’un public toujours plus volatile. Une musique déshumanisée et souvent par là-même déconnectée de tout rapport au temps dans l’esprit collectif. Une musique née avec les dernières grandes évolutions technologique du siècle, et qui n’a donc que très peu évolué dans sa manière d’être créée depuis l’entrée dans le nouveau millénaire / On ne compte plus les arguments qui ont été soulevés pour justifier la non-existence d’une musique électronique intemporelle, de classiques de l’électronique au même titre que Dark Side Of The Moon ou le White Album. Ainsi, voir que les labels permettent, je dirais même estiment nécessaires la publication d’œuvres décédées dans l’esprit collectif, c’est le soulagement de voir un hommage rendu au combat des années 80 et 90 pour porter la musique électronique au niveau des autres musiques dans l’imaginaire de tous les publics. Hommage poursuivi par les dizaines d’imprints qui s’occupent de dénicher les perles rares qui méritent d’être sorties de l’anonymat, même s’ils créent le débat entre défenseurs de cette pratique surconsommatrice de musique et les autres, les nostalgiques, des hommages qui remettent en question la valeur de la musique (comme le montre les éternelles discussions entre les passionnés PC et Chris de chez Mnmlssgs). En ce qui me concerne je ne vais pas me priver de savourer les innombrables rééditions, redécouvretes et autres trésors enfouis dans la masse déjà importante de musique d’alors.  Alors écoutons les Lost Tapes de Can, et ne jurons de rien, si ce n’est de la grandeur de ces morceaux désormais incontournables par la grâce de Boomkat et consorts.


Cette fois-ci, la recette est légèrement différente, puisque tout le monde connaît René Pawlowitz, alias Shed, alias Wax ; peu de gens en revanche connaissent ses productions sous ses alias Head High et WK7. Des tueries de 2010, un temps où M. Pawlowitz ne se dédiait pas simplement à une techno expérimentale et abstraite comme on le croit souvent en raison de The Traveller, mais du temps où il sortait des tueries house à en retourner tous les clubs d’Europe. Des raretés aujourd’hui offertes à nouveau par la grâce de Hardwax et Power House, le label qui les avait sortis originellement. Ainsi ce sont, en plus de le nouvel EP sur lequel paraissent deux inédits du Pawlowitz de l’époque (Do It Yourself / Rave), les EPs It’s a Love Thing de Head High et The Avalanche de WK7 viennent de revoir le jour. Un petit bonheur pour les quelques chanceux qui se sont donnés le mot et précipités sur les pépites en question. Pour preuve, quand on écoute le passage hallucinant du Fabriclive 59 de Four Tet où ‘Higher Power’ se met à emplir nos oreilles… On est bluffé. Merci R'né.



Puisqu'on parle de Four Tet, un petit détour par les dernières productions de l'aimable Kieran Hebden devrait-être sans risque, n'est-ce pas ? En effet ce dernier vient de lâcher un nouvel EP intitulé Jupiterschez son propre Text Records. Si le morceau éponyme laisse de marbre, 'Ocoras', entêtant, rappelle dans sa recette l'addiction instantanément provoquée par 'Love Cry', 'Pinnacles' ou encore ses remixes de Nathan Fake et Pantha du Prince, avec leur kick enjoué et leurs boucles imparables. Une bonne dose de fun aliée à une composition vraiment inégalable, la plastic house du londonien semble vraiment trop facile, mais est tout simplement trop efficace. Afin de savourer encore plus, j'ajoute à cela la preview du très prochain 128 harps, qui à défaut d'être catchy, est plus touchant que la plupart des bouses UK House qui se reproduisent comme des lapins chez la Perfide Albion...



On continue notre tour des sorties récentes avec la parution de ce ténébreux LP des allemands Owwl. Un drone immersif, mesuré, BO magnifique de votre ensevelissement sous-terre, bande son du funeste destin qui attend chacun des hommes, un peu plus de noirceur et de tragique à chaque seconde, sur ces mêmes notes qui durent la longueur d’un morceau, bref, c’est juste parfait. Il faut dire que chez Utech Records, on ne déconne pas : leur catalogue impressionant de styles allant de l’ambient au field recording semble être un des plus hauts gage de qualité. En autoproduisant leur premier mini-album deux ans auparavant, il semblerait que les randonneurs du Harz de Saxe-Anhalt aient porté sur eux suffisamment d’attention pour être demandés par cette écurie de renom. Dark Places est donc paru en février dernier, et il a fallu attendre ce mois-ci pour que je me procure cette douceur algique. Dark Places, ce sont surtout des harmoniques déchirantes, une atomsphère pesante, des fréquences presque aussi palpables que la tension qu’elles créent, vous comprendrez que le tout soit donc assez charmant. On est presque ravi de devoir faire sans beat, d’être forcé à concentrer tous nos sens sur ces sons qui, eux, en sont vides, de prolonger cette écoute si implacablement lente et épuisante. Psychologiquement affaiblis, physiquement éprouvés, on ressort lessivés d’une écoute qui semblait à la fois succincte et interminable. Un drone efficace, pour résumer.
P. S. : n’hésitez pas à entrer les coordonnées que sont les titres des morceaux dans google maps. Ça vaut le détour virtuel.

                                 


Puis, il y a Blues Control. Lorsque j’ai découvert Valley Tangents, il était qualifié de psydrone. Bien que je ne disqualifie pas l’appellation, je dois avouer que je fus surpris à l’écoute de ce qui ne m’a pas l’air de ressortir du drone pour la moindre seconde, mais plutôt de la folk psyché aux tendances ambient ou abstract, selon les morceaux et les définitions. Tout cela ne vous aide en rien je présume, c’est pourquoi un extrait musical devrait faire l’affaire : sentez la brise chaude et aride du fond de l’Arizona, la mélancolie du motel juste à l’extérieur de Phoenix, mais pas celui de ces torture porn amérciains sans frisson, le vrai, celui qui annonce le départ vers le Midwest, cette croisade à travers des contrées plus silencieuses qu’une chambre anéchoïque, les nuits à la belle étoile, la grâce de l’horizon et tout ce qui s’ensuit, vous savez, vous le voyez, vous l’imaginez sans problème. Eux, ils l’ont joué. Ça sonne plutôt bien d’ailleurs.



Vient enfin la techno. La récente, la toute fraîche, celle qu’on attend en permanence, qui adoucit les tempéraments tout en faisant mal au crâne. Et le mois dernier, ça s’est battu férocement pour avoir le dernier mot. Entre les albums de Darling Farah, Mike Denhert, ou encore  Delta Funktionen, ça se bousculait au portillon. Mais puisque que chacun d’entre eux m’a (plus ou moins, évidemment) régalé, je propose de faire honneur à toutes ces beautés. Rien de tel pour attaquer que la splendide introduction de l’album de Darling Farah, Body - sur lequel je reviendrais bientôt. En effet, ‘North’ n’est pas de la techno pure, mais un beau chromatisme dub, presque ambient, si ce n’est pour ce beat lent, fluide et profond qui vient rythmer l’essaim épars et discontinu de graves nappes de synthé. Une atmosphère, rien de plus, rien de trop, entrée en matière équivalant à l’entrée dans un univers, un lieu sombre mais pas angoissant, un face à face avec l’inconnu qui nous enthousiasme au lieu de nous effrayer.



Ajoutons-y le ‘Fachwerk 25’ de Mike Denhert, track dub techno classique issue de l’album éponyme. À l’instar de la totalité du LP, tout y est : les notes de synthé tubulaires à l’écho magique, la voix masculine trop lointaine pour être compréhensible, mais juste assez présente pour être audible, la basse minimaliste, étalée sur pas moins de trois notes, le jeu des cymbales, charleys et autres high hats qui reviennent ça et là, agrémentant l’ensemble d’une progression lente mais sulfureuse. Rien de révolutionnaire, c’est même tellement classique qu’on pourrait croire à une farce de la part de l’ingénieux berlinois. Mais le reste de l’album, splendide dans son ensemble, plus varié et satisfaisant qu’il ne semble à la première écoute, mérite un bien une mention.




Delta Funktionen fait beaucoup parler de lui en ce moment, et son premier LP Traces n’y est pas étranger… Je dois vous avouer qu’en premier lieu, je le trouvais relativement quelconque. Mais cela ne fait pas une semaine que j’ai ce petit bébé que je le chéris désormais comme s’il était mien. Eh oui, en peu de temps, Delta Funktionen, qui avait l’habitude de se cantonner à une dub techno plus formatée, plus intimiste et « dark » somme toute (souvenez-vous Inward Content), a décidé de s’aventurer sur des terres plus sauvages, et cela lui réussit plutôt. Rien d’exceptionnel, mais un album loin d’être ennuyeux, avec ses accélérations, ses phases d’introspection et ses peak times subtilement amenés par les innombrables machines utilisées pour la conception de Traces. On trouve même quelques côtés pop-disco à la panoplie d’instruments déployée pour certains morceaux, comme chez 'On A Distant Journey', qui n’a plus rien de franchement technoïde, et qui flirte ostensiblement avec une électropop un brin rigolote. Niels Luinenberg n'hésite cependant pas à revenir sur les origines de la techno, avec ce 'Target' ou ce  très acid 'Redemption', sortes d'adaption actuelles de styles de techno désuets. L’exotisme du tout peut paraître cliché, je n’hésiterai pas à dire qu’il me satisfait pleinement, personnellement. Une agréable surprise que ce Traces, qui, faute d’être la bombe techno qu’on attendait un peu tous, reste une franche tranche de plaisir auditif.



Dans un style similaire, on a Ukkonen, qui, non content de nous avoir allumés avec son EP Spatia d’il y a quelques mois, ou son Erriapo de l’an passé, nous lâche son premier album. Rien que ça. Encore une fois, l’artiste préfère concentrer beaucoup de bonnes choses en une track que d’éparpiller son savoir et son talent dans une indigeste multitude de morceaux. Ainsi  The Isolated Rythms Of… ne contient que 5 pistes, et c’est largement assez pour nous éblouir, en notant que trois d'entre elles font 16 minutes. Remarquez, un peu plus de la même came ne pourrait pas faire de mal… Une version plus pop, plus easy-listening que son abstract techno qui avait du mal à rester en tête, et qui se contentait de galamment nous émouvoir et nous transporter. Cette fois-ci, la même formation instrumentale ou presque nous sert  une électro plus riche (‘Tellervo’), plus énergique, moins mélancolique et déprimée, apte à satisfaire presque tous les publics (peut-être que la durée et l'étalement des morceaux resteront une contrainte aux publics les moins en phase avec ce genre de musique, mais ce n'est pas à eux que l'on s'adresse, donc bon). Des voyages comme ceux de 'Theme from the 4223' sont tout simplement ahurissants, et quand on écoute 'Humans, knew in the forest', on est réellement abasourdi de la qualité technique des productions affichée par le scandinave... Entre Plant43, Ryan Davis, et son compatriote Trevor Deep Jr, Ukkonen y va de sa petite sauce finlandaise, avec plus d’originalité que l'ensemble de ses compères. Un album agréable, divertissant, j'irais jusqu'à dire ravissant.





James Zeiter, c'est l'inconnu qui m’a fait rêver. Jai-Zed, MCMLXV, Spacer IV, vous avez beau faire le tour des alias, pas un ne vous dit la moindre chose. Rares sont ceux qui osent prétendre se souvenir de ce quidam qui a produit une petite dizaine d’EPs, pourtant tous plus mémorables les uns que les autres. Un artiste resté dans l’ombre malgré les tracks folles qu’il a produites. Peut-être est-ce le côté légèrement trancey qui en a repoussé plus d’un. Pourtant, au petit jeu de la techno maximaliste et évasive, AlexanderKowalski, par exemple, a su tirer son épingle du jeu avec une tech-trance moins fine que celle-ci. Une récompense bien ingrate pour un mec qui produit depuis depuis 1997. 15 ans et une quinzaine d’EPs plus tard, ses morceaux semblent toujours aussi puissants et profonds, ont à peine pris de l’âge, sans se bonifier, ni se honnir. Cette race de techno spectralement large, grandiloquente, avec des filtres et des équas à n’en plus pouvoir, un beat simpliste  l’extrême, un air dub techno à peine caché, bref du grand spectacle sonore, Rio Bravo vs African Queen version acoustique. Ça en jette, c’est techniquement irréprochable, et ça n’a décidément pas pris une ride. Une fois de plus, on remercie Monsieur Zeiter d'avoir compilé toutes ses bonnes oeuvres dans un JSCD-01 sincèrement marquant.



L’histoire de Moritz Von Oswald n’a jamais fini de s’écrire semblerait-il : les légendes du trio de MVO sont de retour. Sasu et Max rempilent pour fournir à Moritz une énième occasion de briller, loin au-dessus de tous les acteurs du milieu. Peu d’artistes électroniciens peuvent comparer leur œuvre à celle du maître, mais parmi eux se trouvent ses acolytes Vladislav Delay et Max Loderbauer, c’est bien notre chance. Les trois larrons viennent de sortir leur dernier album, Fetch, chez l’élitsiste Honest Jon’s. Comme on pouvait s’y attendre, Fetch est une étoile rayonnant au centre de l’univers de la musique électronique, dans une constellation contenant le Pinch & Shackleton, ou le dernier Carter Tutti Void, faite pour guider l’ensemble des systèmes qui gravitent autour. Brillante, astrale, la musique du magistral trio est pourtant loin d’avoir à faire avec l’espace intersidéral. Rapidement étouffante, elle nous plonge dans un air chaud, à la moiteur lourde et prégnante, dont on peine à se sortir. Cet enfer tribal, métamorphose des glitchs en jungle humide, auquel on ne peut échapper, est en réalité un délice psycho-acoustique. Un jeu de haute voltige sur la perception des sons, tour de passe-passe où les machines remplacent, l’espace d’une petite heure, un safari au carrefour de la forêt congolaise et des fleuves centrafricains. Pas de mention spéciale pour un des quatre morceaux, puisque tous valent autant les milliers d’écoutes réglemetaires, quelles que soient leurs durées respectives (de 7 à 17 minutes). Bref, si vous n’aviez pas déjà prévu d’acheter cette merveille à cet honnête Jon, je vous recommande fortement de changer d’avis et de suivre le mien. Et si vous êtes convaincu par ce choix (qui ne devrait pas en être un), ruez vous sur Espoo, la dernière décoction de l’ « infamous » Vladislav Delay.



Pour clore cette très belle sélection pré-estivale, je propose de fnir sur la touche qui ramènera peut-être le soleil : Salty Days. Ces jours salés où l’air marin nous délivre de l’impitoyable cagnard méditerranéen, tandis que nous tentons, dans des efforts d’un ridicule incomparable, de profiter de l’un et de l’autre tant que faire se peut ; on met alors toute la volonté du monde, toute notre concentration et tout notre physique en jeu afin de pouvoir paresseusement nous prélasser au fond d’un transat. Voilà ce à quoi Smallpeople nous invite : lâcher prise sur notre vie l’espace de quelques jours pour les uns, de trois voire quatre mois pour les autres, et se laisser imaginer que faire quelques centimètres sur un bout de plage est une peine trop grande pour être assumée. Avec un album beau comme l’été, le duo Hambourgeois nous fait cadeau d’une soundtrack digne des plus indolentes vacances, des jours les plus longs, les plus torrides et les plus fainéants. Avec le (gros) soupçon de classe qui justifie le label Smallville sur la cover, évidemment. Pour être plus précis, je dirais que tout en élégance et en retenue, Julius Steinhoff et Just Von Ahlefeld fête la musique à sa façon, avec des ambiances loungy sans être clichées,  des nappes grasses sans être dégoulinantes, des lignes de basse comme toute la microhouse en rêverait, pour donner un son deep léché, intimiste, subtil. Avec le temps, cet album passe de sympathique à fantastique, et on ne se lasse pas de la chaleur et de la tendresse qu’il dégage. Moi je vous le dit, on aimerait fêter la musique de cette façon là plus souvent…

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